Ecrire le corps et l'adolescence : construire Solange...

Solange entre dans l'adolescence et son corps et son coeur ne tardent pas à le lui faire savoir. Elle se pose d'innombrables questions auxquelles les adultes qu'elle connaît ne répondent que de façon fragmentée. Sa mère est dépressive et solitaire, son père travaille dans les aéroports et est un coureur de jupons reconnu. Alors, Solange la candide cherche à comprendre, seule ou avec ses copines, ce que c'est que la vie. Ce que signifie "faire l'amour", puisqu'il faudra bien le faire un jour, pour grandir vraiment. La course contre la montre peut alors démarrer.
Cette envie de savoir ce que baiser signifie devient tellement obsessionnelle pour ce jeune personnage qu'il sombre dans un état d'urgence et de soumission que Marie Darrieussecq se plaît à nous décrire. Avoir envie jusqu'à accepter d'offrir peu à peu son jeune corps à un inconnu violent. Puis au voisin, plus vieux qu'elle, tendre et amoureux, qui fait office de baby-sitter quand sa mère gavée d'anti dépresseurs n'est plus capable de rien. Mais connaître l'amour physique, est-ce suffisant pour accéder au bonheur? Les "choix" de Solange révèlent des pulsions tantôt grotesques, tantôt douloureuses : les scènes de sexe se succèdent comme autant de découvertes intimes et uniques. Phrases brèves, mots crus, ellipses nombreuses tant sur la temporalité que sur l'espace. Parfois, l'essentiel s'estompe au profit du détail, faisant du lecteur ce voyeur dont les pulsions s'éveillent quand les instants charnels et bruts vécus par l'héroïne nous font - un peu- chavirer les sens.

"Clèves" est une séquence littéraire intéressante, haletante : comment écrire ce qui hante l'adolescence? Qui n'a jamais éprouvé à quinze ans ou dix-sept ces pulsions sexuelles que l'on croyait insurmontables? Ecrire ce qui ne s'énonce pas, ce souvenir des premières fois souvent maladroites et effrayantes qu'on ne peut jamais raconter telles quelles à ses proches, qu'on embellit ou qu'on efface. Darieussecq les met en scène, et à nu.